Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (2024)

1 Dans les pays industrialisés, historiquement depuis la centralisation des réseaux (Poupeau, 2018), les gestionnaires des réseaux et les producteurs-fournisseurs d’électricité étaient peu nombreux et souvent en position de monopole. Ils étaient les seuls responsables du fonctionnement des infrastructures et des sites de production d’électricité. Il leur revenait d’assurer le maintien, la réparation, l’amélioration des équipements, des installations, des câbles, mais aussi de faire face à des tensions routinières afin de garantir en tout moment l’équilibre entre la demande et l’offre en électricité et de gérer les pointes de consommation. Ils devaient faire face également à des risques «hors cadre» [3], se produisant rarement, mais aux effets particulièrement dévastateurs (Guihou, Lagadec, Lagadec, 2006; Lagadec, 2007).

2 Dans plusieurs pays, la situation a profondément changé depuis les années 1990-2000 à la suite des réformes de libéralisation et décentralisation, mais également dans un contexte mondial de reconnaissance des enjeux du dérèglement climatique qui exposent le réseau électrique central (REC) à un niveau de risque accru (Mikellidout etalii, 2018; Panteli, Mancarella, 2015). Aujourd’hui, les acteurs historiques partagent la responsabilité du fonctionnement du REC avec une multitude d’autres acteurs de diverses natures et ayant des logiques d’action et des rationalités différenciées. Des systèmes techniques alternatifs au REC se développent également.

3 En réponse aux enjeux du dérèglement climatique, les politiques de décarbonation ont contribué à l’électrification de divers usages et à une massification d’installations décentralisées de production d’énergie renouvelable notamment de sources intermittentes, qui peuvent être raccordées sur le réseau de moyenne tension et de basse tension. Ces moyens distribués sont une cause importante de congestions sur les réseaux de distribution et de transport, car ils n’ont pas été conçus a priori pour permettre l’injection et le soutirage dans les deux sens.

4 Ainsi, certains acteurs sont désignés comme responsables d’équilibre à travers une contractualisation avec les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité [4]. Ces acteurs peuvent être fournisseurs d’électricité, gros consommateurs ou encore acteurs tiers du secteur des finances et, dans les systèmes en cours de libéralisation, ils sont de plus en plus nombreux à participer à la gestion de l’équilibre du réseau.

5 De la même façon, pour répondre aux contraintes générées par la production intermittente d’électricité, certains acteurs du marché participent à la flexibilité de la demande: soit en proposant des offres à tarification dynamique [5] afin d’inciter financièrement les consommateurs, soit en réalisant des opérations d’effacement ou de report des consommations. Selon la réglementation européenne, la flexibilité de la demande énergétique peut participer aux marchés de gros et aux marchés de services auxiliaires [6] au même titre que la production d’énergie [7]. Pour valoriser l’énergie sous la forme de services auxiliaires, les acteurs du marché répondent aux appels d’offres des gestionnaires des réseaux de transport visant à valoriser les flexibilités comme des solutions alternatives aux adaptations de l’infrastructure [8]. Ainsi, dans le cadre du mécanisme d’ajustement [9], des acteurs peuvent contractualiser avec le gestionnaire du réseau de transport pour participer à l’équilibre offre-demande [10].

6 Les enjeux de sécurité d’approvisionnement en électricité ont également encouragé, au cours des vingt dernières années, une (ré)émergence de systèmes techniques alternatifs ou complémentaires au REC (micro-réseaux, smart grids, etc.) [11]. Ces systèmes sont considérés comme une voie prometteuse pour construire la ville durable, même s’ils n’ont pas encore vraiment fait leurs preuves (Finon, 2017). Leur promesse est de rendre opérationnelle la transition énergie-climat en favorisant la relocalisation des métabolismes urbains, l’autoconsommation, la circularité, la sobriété, l’autonomie énergétique (Lopez, Pellegrino, Coutard, 2019).

7 Ces systèmes alternatifs sont souvent décrits comme proposant des services en redondance au REC, ce qui est considéré comme un principe de résilience, et des services visant une plus forte maîtrise locale des flux d’électricité ainsi que la sécurisation de l’approvisionnement [12], en assurant un service lors de l’éventuel dysfonctionnement du REC (Helmrick etalii, 2021; Derdevet, 2020). Ces systèmes techniques, de par leur organisation et fonctionnement, rompent avec le paradigme de la «ville réseau» et posent la question d’un urbanisme «post-réseau» ou «en augmentation» du réseau (Coutard, Rutherford, 2016) sous plusieurs aspects. Ce principe de rupture peut se traduire dans de nouvelles formes d’inégalités économiques et spatiales d’accès à l’énergie et donc en matière de résilience des territoires desservis par ces systèmes (Hodson, Marvin, 2009).

8 Nous voyons ainsi que les acteurs historiques de l’électricité n’ont plus l’apanage exclusif du maintien en bon état de fonctionnement des moyens de production, notamment face aux risques «hors cadre», car il y a une multiplication de sources et de moyens de production contrôlés par de nouveaux acteurs. Cette perte de monopole concerne aussi la gestion des tensions routinières du REC puisque pléthore d’autres acteurs contribuent à l’offre de flexibilité et d’ajustement. Il en est de même quant à la sécurisation de l’approvisionnement du territoire, car de nouveaux systèmes techniques pilotés par d’autres acteurs s’ajoutent et se superposent à l’offre du REC. Somme toute, les acteurs historiques n’ont plus l’apanage exclusif de la gestion de la résilience de cette infrastructure critique que sont les REC.

9 Ce changement de paradigme ne se fait pas tout seul: il est accompagné et cadré par un ensemble de politiques, et secondé par des reconfigurations profondes des écologies urbaines, des infrastructures et des mutations socio-spatiales (Coutard, Rutherford, 2015). Dans cet article, nous nous intéressons à ces reconfigurations à partir de l’étude d’un système technique en plein essor: les centrales électriques virtuelles (CEV) [13], en émergence depuis la fin des années 1990 et qui se sont diffusées notamment dans les années 2010. Il s’agit d’un système sociotechnique en réseau qui combine une multiplicité de sites de production, de stockage et/ou de consommation énergétique au moyen d’un dispositif numérique de pilotage centralisé dans l’objectif de participer au marché de l’énergie, de contribuer à l’optimisation de la production énergétique et à l’équilibre du réseau (Auer etalii, 2006).

10 Le gestionnaire d’une CEV est un agrégateur de capacités, un agrégateur d’effacement, un producteur-fournisseur ou encore une société de services énergétiques qui vend des services d’équilibrage au REC et qui peut valoriser l’énergie sur les marchés de l’électricité.

11 Dans cet article, nous souhaitons tout d’abord interroger le rôle joué par ce type d’acteurs et de systèmes dans la résilience du REC. Nous faisons l’hypothèse que l’essor des CEV et plus largement la montée en puissance de l’agrégation interviennent en complément du rôle des acteurs historiques de l’électricité en matière de résilience du REC. Ainsi, les CEV représenteraient une forme d’externalisation de la gestion de la résilience. Nous nous demanderons dans un premier temps: en quoi et comment les CEV contribuent à la résilience du REC? Et lorsque les gestionnaires de CEV deviennent un acteur central de la résilience, de quelles transformations et implications ces systèmes vont être porteurs?

12 Dans cet article nous nous référons à la définition de résilience vue comme «la capacité des individus, des communautés, des institutions, des entreprises et des systèmes d’une ville à survivre, à s’adapter et à se développer, quels que soient les types de stress chroniques et de chocs aigus qu’ils subissent» [14]. Nous avons identifié les travaux de (Barroca etalii, 2013) comme étant particulièrement pertinents pour notre étude. D’une part, leur article s’intéresse spécifiquement à la résilience d’un système technique, ce qui constitue également notre objet d’étude. D’autre part, il propose quatre catégories de résilience (résilience cognitive, fonctionnelle, corrélative et organisationnelle) que nous pouvons mobiliser afin de: (i) observer la contribution des CEV lors de moments de crise, ainsi qu’ en anticipation et prévention de cette crise [15]; (ii) intégrer tout aussi bien les tensions routinières que les chocs majeurs; (iii) inclure dans notre analyse les acteurs et les dimensions spatiales liées à la morphologie des réseaux pour ne pas se cantonner à l’analyse de la seule dimension technique.

13 Si le modèle de (Barroca etalii, 2013) nous a permis de formaliser une description des processus étudiés, pour construire un cadre d’analyse pertinent nous avons mobilisé un corpus de travaux s’intéressant à la caractérisation, à l’émergence et aux implications de l’essor des systèmes techniques alternatifs au REC (Coutard, Rutherford, 2015; Labussière, Nadaï, 2018; Lopez, 2019;van Summeren etalii, 2020; Jones etalii, 2022; Jaglin, 2019). Et nous avons ensuite confronté cette production scientifique avec d’autres travaux qui questionnent l’essor des systèmes techniques alternatifs vis-à-vis des enjeux de résilience plus générale du système électrique (Graham, 2010; Reghezza-Zitt etalii, 2012, Tierney 2015; Sage, Fussey, Dainty, 2015; Voropai, Rebtanz, 2019; Barroca, 2019; Helmrick etalii, 2021). Nous nous sommes appuyées notamment sur les travaux de (Coutard, Rutherford, 2015) qui analysent l’essor des systèmes techniques alternatifs en tant qu’instruments pour la promotion des transitions urbaines durables. Ces auteurs, en critique aux approches des Sustainable Studies et du Splintering Urbanism, posent les bases pour un cadre d’analyse permettant de porter une analyse critique sur la variété des formes et des implications ambivalentes de la «ville post-réseau» en mettant au centre de l’analyse les implications financières, socio-spatiales, métaboliques et politico-institutionnelles des formes alternatives et décentralisées de fourniture de services (Coutard, Rutherford, 2015).

14 Enfin, nous tenons à souligner que la particularité des CEV par rapport à d’autres systèmes techniques alternatifs tient à leur dépendance de la performance du REC, du bon état de ses infrastructures et leur maillage. Au-delà de leur fonctionnement, l’existence même des CEV dépend des innovations et des investissem*nts dans la numérisation du système électrique, les CEV étant un système de télé-pilotage numérique d’actifs énergétiques distribués. D’autre part, le fonctionnement des CEV dépend des logiques du marché car les gestionnaires des CEV valorisent l’électricité sous la forme de services auxiliaires ou encore sur les marchés de gros de l’électricité. Nous avons ainsi mobilisé également d’autres travaux (Reverdy, 2016; Finon, 2017; Danieli, 2018; Grandclément, Nadaï, 2018; Percebois, 2021; Niebel, 2021) qui s’intéressent à ces questions.

15 D’un point de vue méthodologique, nous avons réalisé dans un premier temps une revue de littérature scientifique et grise pour produire un inventaire non-exhaustif et organisé selon plusieurs catégories, répertoriant plus de 160 CEV déployées en Europe, en Amérique du Nord et en Asie Pacifique (Figure1).

Figure 1

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (1)

16 L’analyse de cet inventaire nous a permis de restituer un paysage assez complet des différentes caractéristiques de CEV pleinement fonctionnelles et des démonstrateurs pilotes et d’identifier des exemples de CEV particulièrement intéressants et explicatifs des différentes formes de leur participation à la résilience du REC. Nous nous sommes ainsi focalisées sur les CEV aux États-Unis, en Australie et en Europe nord-occidentale et centrale. Nous avons construit un panel de cas d’études complétés par la réalisation de dix-huit entretiens semi-directifs avec des représentants d’organismes gestionnaires de CEV, des clients et partenaires de ces systèmes et des représentants de sociétés gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité [16] (Figure1; Tableau1, en Annexe).

17 Cet article est organisé en trois parties. Dans une première partie, nous définissons et caractérisons les CEV à partir des résultats de notre inventaire, de l’analyse de littérature scientifique et grise ainsi que des entretiens réalisés. En mobilisant le modèle de (Barroca etalii, 2013), nous décrirons les différentes contributions des CEV à la résilience du REC. Dans une deuxième partie, en mobilisant les entretiens et la littérature scientifique, nous analyserons les reconfigurations et implications financières, socio-spatiales, métaboliques et politico-institutionnelles (Coutard, Rutherford, 2015) que provoque la participation des CEV à la résilience du REC. Enfin, nous conclurons en mettant en évidence les perspectives pour les recherches àvenir.

18 L’expression «centrale virtuelle» renvoie au fonctionnement des CEV vis-à-vis du système électrique, car le fait d’agréger la production de nombreuses sources énergétiques et/ou de nombreux équipements consommateurs permet de constituer une seule entité, comme s’il s’agissait d’imiter le comportement d’une centrale électrique physique (Yavuz etalii, 2019) (Fig.2). Les publications des opérateurs de CEV soulignent l’idée du regroupement (pool) comme étant la caractéristique principale des CEV. A la différence des micro-réseaux qui disposent d’une fonction d’îlotage pour se déconnecter par rapport au REC, les systèmes CEV se superposent au REC et fonctionnent en synergie avec celui-ci et non pas de manière indépendante.

Figure 2

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (2)

19 L’intérêt des CEV pour les acteurs du marché se présente sous différents aspects. Le rôle d’agrégateur joué par le gestionnaire d’une CEV permet aux petit* producteurs d’énergie d’avoir accès aux marchés de gros, dont ils sont souvent exclus de par les limites de capacité imposées par la réglementation. Le principe d’agrégation permet au gestionnaire de la CEV de réduire les pénalités d’écarts [17] que les producteurs d’énergie solaire et éolienne sont obligés de payer pour compenser la différence (négative ou positive) entre l’énergie vendue sur le marché de gros et l’énergie réellement produite le jour «j». Le gestionnaire de la CEV leur demande de reporter leur consommation d’énergie, voire de l’annuler, contre une rémunération monétaire que l’opérateur de la CEV obtient grâce à sa participation aux marchés.

20 Le pilotage de la CEV se fait de manière semi-automatisée grâce à un système composéd’une plate-forme logicielle et d’objets techniques (boîtiers intelligents, capteurs, compteurs communicants) installés sur les sites distribués des clients de la CEV et connectés à cette plate-forme par le moyen de réseaux de communication mobiles et internet (Figures3 et 4).

Figure 4

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (4)

21 Si l’agrégation et le pilotage centralisé d’entités dispersées sont la caractéristique déterminante de toutes les CEV, elles se différencient par une multitude d’autres facteurs.

22 Avant tout, une CEV peut être consacrée à l’agrégation de sources diffuses de production, stockage ou de consommateurs structurés en pools. Les deux tiers des CEV que nous avons recensées combinent la production et la consommation.

23 Notre inventaire met en lumière la grande diversité d’acteurs qui peuvent être gestionnaires de CEV: agrégateurs, fournisseurs, producteurs d’énergie, fabricants de dispositifs de stockage électrochimique et entreprises du secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La grande majorité des gestionnaires de CEV sont des entreprises privées, avec quelques exceptions: des compagnies locales d’électricité dont les parts appartiennent aux municipalités (comme la société finnoise Savon Voima Oyj), des entreprises qui appartiennent à l’État (comme la Norvégienne Statkraft), des entreprises majoritairement publiques (comme la Compagnie Nationale du Rhône).

24 En ce qui concerne les sources et les vecteurs énergétiques, les CEV permettent d’en agréger une grande diversité dans la mesure où elles peuvent contribuer au système électrique: les centrales éoliennes, solaires, hydroélectriques, de cogénération (à partir du gaz naturel, du pétrole, du charbon, du biogaz), mais aussi le stockage électrochimique qui va jouer un rôle de plus en plus important avec par la baisse de prix des batteries attendue pour les prochaines années (Fortune Business Insight, 2021).

25 Quant au volume de flexibilité agrégée, les CEV constituent aussi un paysage très hétérogène. Certains opérateurs de CEV affirment opérer avec des milliers de MW en énergie flexible: c’est le cas de Statkraft DE (>11000MW), Next Kraftwerke (>8000MW), Energy Pool (>6000MW), entre autres. Mais la majorité de CEV pleinement fonctionnelles est opérée avec quelques centaines de MW. La taille des CEV est liée au type de clients agrégés pouvant aller de l’habitat privé résidentiel aux équipements publics et privés (hôpitaux, commerces), grands sites de production énergétique et sites industriels.

26 La majorité des CEV que nous avons inventoriées agrègent des actifs énergétiques localisés sur des périmètres spatiaux importants, et éparpillés sur le territoire national ou sur des unités territoriales dans les pays fédéraux, dont les limites sont imposées par la réglementation. La spécificité géographique et l’ancrage territorial sont des caractéristiques propres à certaines CEV atypiques pour des raisons de développement historique (ex. la Compagnie Nationale du Rhône), ou encore en relation aux besoins du client (ex. Blue Pillar, qui gère des CEV liées à la sécurisation d’approvisionnement énergétique des hôpitaux). Plus exceptionnellement, nous avons identifié des CEV portées par des collectifs citoyens dans la volonté d’une «reprise en main» du fonctionnement énergétique de la communauté locale (CEV à Ebersberg en Allemagne et à Loenen aux Pays-Bas; démonstrateur «Rescoop VPP» en cours de conception dans plusieurs pays européens).

27 La diversité des modèles reflète la variété des typologies de CEV, le dénominateur commun étant le captage de valeur par la vente de produits énergétiques: soit sur les marchés de l’énergie de gros, soit sur les marchés des services auxiliaires, ou encore sur ces deux types de marchés (Braun, 2009, Ropuszynska-Surma, Weglarz, 2019).

28 Notre enquête montre également que les gestionnaires de CEV cherchent à exporter leurs services dans d’autres pays que leur territoire d’origine. L’agrégateur d’effacement industriel Energy Pool, par exemple, fournit sa plateforme d’agrégation à une société gestionnaire des réseaux de transport au Japon, chargée de retrouver des clients, gros consommateurs d’énergie, et de les équiper de boîtiers intelligents pour rendre possible le télé-pilotage de l’effacement.). Enfin, un modèle économique particulier a été mis en place par les prestataires de services aux gestionnaires de CEV, comme la société allemande Energy & Meteo Systems, qui en témoigne: «(..) Nous réalisons ce service pour le compte des agrégateurs. Nous ne sommes pas nous-mêmes un acteur du marché [de l’énergie]. (…) Nous sommes actifs auprès de clients dans cinq pays européens pour fournir des services auxiliaires, et auprès de douze ou treize pays européens pour agréger la production d’énergies renouvelables, et aussi en dehors de l’Europe, par exemple en Inde et en Turquie».

29 Le modèle de Barroca etalii (2013) propose de décrire la résilience d’un système technique à partir de quatre piliers: la résilience cognitive, fonctionnelle, corrélative et organisationnelle, que nous reprenons pour analyser le rôle des CEV dans le système électrique.

30 La résilience cognitive est le processus d’apprentissage et d’acquisition de savoir-faire sur la dimension du risque, qui permet aux acteurs de mieux connaître les besoins d’un système sociotechnique et de prévoir les effets des éventuelles crises sur ce système et d’autres (comme le système électrique et les infrastructures de l’eau). En effet, le manque de connaissances, d’information et de sensibilité chez les acteurs est un frein majeur à la mise en place de stratégies de résilience (Beraud, 2013), ce qui augmente les incertitudes et rend moins efficace la réponse aux risques. Les CEV contribuent à la résilience cognitive du REC grâce à la capacité de produire de la connaissance sur les éléments du système électrique décentralisé.

31 Les gestionnaires des CEV possèdent en effet une masse d’informations sur les équipements de consommation ou de production d’énergie chez leurs clients, pouvant être des milliers dans les pools agrégés dans le cas de l’effacement diffus [18]. L’analyse de ces données sur le temps court et long permet une meilleure compréhension des comportements, qui mène notre interlocuteur d’Ohm Connect à affirmer: «nous sommes très, très confiants dans nos prédictions sur la façon dont les utilisateurs vont se comporter lors de différents événements car nous avons tellement de données». En plus de produire de la connaissance, les CEV opèrent pour améliorer la mise en lien des données existantes. Les plateformes numériques des CEV, couramment appelées «systèmes SCADA [19]», permettent de collecter les données nécessaires, de prendre des décisions et de lancer des commandes vers les sites des clients, ainsi que de rassembler de nombreuses données disparates normalement absentes ou traitées de façon séparée.

32 La gestion agrégée des actifs de la CEV permet également de réduire l’incertitude et les erreurs de prévision. Notre interlocuteur de la Compagnie Nationale du Rhône illustre cette possibilité dans le cas de l’agrégation de sites de productionselon une logique de foisonnement et d’optimisation, que l’on peut retrouver également dans les pools de consommation. «[Pour] l’ensemble de tous ces actifs, plus on en agrège, plus les incertitudes liées à la production vont se compenser d’un parc à l’autre. Il y a une incertitude qui est beaucoup plus forte sur tout ce qui est renouvelable et donc on pourra utiliser la flexibilité du Rhône pour compenser […]. C’est la massification qui fait l’intérêt de cette activité».

33 Cependant, les modalités de gestion des données produites et exploitées par les CEV interrogent vis-à-vis de la totale opacité pour les opérateurs énergétiques traditionnels du fonctionnement interne à la CEV.

34 Les algorithmes développés par chaque gestionnaire des CEV demeurent propriété privée et rendent la gestion des actifs une boîte noire vis-à-vis d’autres acteurs du système énergétique.

35 En outre, nos interviewés soulignent l’importance du «design» des marchés et des règles de participation des acteurs pour assurer leur fonctionnement et leur contribution positive à la résilience du REC. Et pourtant, ce «design» des marchés ne peut pas toujours permettre d’éviter des pratiques de truquage qui se produisent lorsque des acteurs trouvent des manières de profiter de l’asymétrie d’informations stratégiques. «(..) si vous avez un marché à liquidité très élevée, vous espérez que les acteurs du marché se feront concurrence, alors vous obtiendrez un prix bas pour résoudre votre problème de congestion, mais il y a aussi un risque (..) que les acteurs abusent des circonstances du marché» (entretien avec Tennet).

36 La résilience fonctionnelle, dans une situation de crise, est caractérisée par le maintien du fonctionnement des infrastructures les plus importantes en faisant recours à des systèmes de stockage de l’énergie ou d’autres stocks de ressources critiques pour assurer la poursuite d’activités. Ce type de résilience nécessite un surdimensionnement du réseau, voire une redondance de composantes du système (Barroca etalii, 2013). Les CEV mobilisent ce principe de redondance dans la mesure où leur objectif est d’offrir des éléments complémentaires, par exemple des batteries électrochimiques et des dispositifs de cogénération, permettant de seconder le réseau centralisé pour éviter le risque de défaillance.

37 La Directive européenne 2019/944stipule que les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité n’ont pas vocation à développer et gérer des systèmes de stockage électrochimique d’envergure. Mais les opérateurs de réseaux peuvent conclure des contrats avec d’autres acteurs du marché qui se chargent d’investir dans des dispositifs de stockage, d’assurer leur maintien et gestion [20]. En Belgique, par exemple, une CEV a été créée pour un ensemble de clients industriels et les équipements d’un parc de loisirs. Le groupe Centrica Business Solutions a conclu, à cet effet, un partenariat avec le gestionnaire du réseau de transport d’électricité ELIA et l’industriel Tesla pour la fourniture de 140batteries [21] pour répondre aux besoins d’autonomie locale et éviter les pointes de consommation. Cependant, un enjeu important du recours au stockage électrochimique est l’obligation de disposer de capacités d’accueil suffisantes sur le REC pour rendre possible le raccordement de ces dispositifs. Pour répondre à cette problématique aux Pays-Bas, une évolution règlementaire récente autorise les gestionnaires des réseaux à conclure des contrats temporellement limités avec des propriétaires de batteries industrielles [22].

38 Le gestionnaire des réseaux Liander, qui a déjà mis en place deux opérations pilotes avec cette nouvelle modalité contractuelle, confirme que les batteries industrielles peuvent contribuer à aggraver la congestion sur le REC, mais que cette gestion des actifs énergétiques et du réseau de manière différée dans le temps est néanmoins avantageuse. «En tant que gestionnaire de réseau, nous dirons: d’accord, s’il y a un dispositif de stockage de 20MW, alors nous devons construire le réseau, de sorte que nous puissions fournir 20MW positifs et 20MW négatifs. Ainsi, le dispositif de stockage peut aggraver davantage les problèmes de congestion. Et [en même temps] c’est une solution à la congestion».

39 Parmi d’autres exemples, nous pouvons mentionner les générateurs de secours de l’aéroport de Francfort intégrés dans la CEV de la compagnie E.ON [23]. Aux États-Unis, l’usage optimisé de générateurs de secours a été un enjeu important pour lutter contre les dégâts des coupures de réseau (black-outs). La société Blue Pillar Inc. a débuté son activité commerciale en proposant aux centres hospitaliers des services de gestion de l’énergie, et notamment une optimisation de leurs groupes électrogènes à diesel.

40 Dans ce type de service, les systèmes de stockage peuvent jouer un rôle de premier plan. En Australie, Tesla et le fournisseur d’électricité Energy Locals sont en train de développer la plus grande CEV du monde, constituée d’environ 50000systèmes domestiques de batteries solaires avec une capacité de stockage de 20MW/54MWh. Son efficacité lors d’un dysfonctionnement de réseau a déjà pu faire ses preuves (Figure5). Cependant, une contrainte importante est la dépendance du marché australien vis-à-vis des entreprises européennes et sud-coréennes, car il n’existe pas encore de filière de production industrielle de batteries en Australie (entretien avec Simply Energy). En outre, un enjeu plus général du recours massif au stockage électrochimique est la disponibilité de matières premières, comme le nickel, le cuivre et le lithium dont les filières sont très impactées par les conditions géopolitiques. Plus le rôle de ces dispositifs de stockage électrochimique devient important dans nos systèmes électriques, plus nous deviendrons dépendants de la sécurité des chaînes d’approvisionnement en matériaux critiques.

Figure 5

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (5)

41 La résilience corrélative est définie comme l’adaptation des besoins à la capacité de serviceà travers la proposition d’un fonctionnement en mode dégradé (Barroca etalii, 2013). Les dispositifs techniques, numériques et opérationnels qui mettent en synergie les producteurs d’énergie, les moyens de stockage et les consommateurs, permettent aux CEV d’assurer une gestion optimisée des flux d’énergie au regard des signaux-prix du marché et des prévisions météorologiques, permettant d’adapter les besoins, mais également l’offre énergétique à la capacité du REC, et de prévenir ainsi des risques routiniers (congestion, tension, déséquilibre entre offre et demande).

42 En Suisse, la production de biogaz est utilisée comme un levier de flexibilité dans la CEV de l’agrégateur Fleco Power, qui combine la production de centrales de méthanisation aux cogénérateurs avec celle de centrales photovoltaïques et hydroélectriques. Lorsqu’il y a une surcapacité dans le réseau électrique, les méthaniseurs continuent à produire du biogaz qui sera temporairement stocké. Plus tard, ce biogaz pourra servir à générer de l’électricité pour pallier aux fluctuations de la production photovoltaïque (Vogel, 2017). Mais il y a des limites à cette flexibilité permise par le biogaz, parce que les installations de stockage sont dimensionnées pour un volume spécifique. Il est difficile de faire évoluer ces volumes, sachant que les acteurs n’y dépenseront pas leurs propres moyens économiques s’ils n’y trouvent pas un intérêt direct.

43 Les CEV contribuent à la résilience corrélative du REC également à travers leur capacité à moduler de façon généralisée ou ciblée le mode de fonctionnement des actifs qu’elle gère, afin d’éviter un dysfonctionnement du système. Ainsi, les opérateurs des CEV peuvent être amenés à «appeler» leurs clients à moduler leur consommation ou production très fréquemment. En 2018, Ohm Connect a géré 726 «appels» sur 182jours, lors des moments de plus fort stress pour le réseau (entretien avec Ohm Connect).

44 Toute agrégation massive d’actifs énergétiques repose sur la performance des dispositifs de télémétrie et télé-pilotage (Percebois, 2021, Niebel, 2021). Nos interlocuteurs au sein de la société de production-fourniture d’énergie AGL soulignent que tous les systèmes intelligents sont exposés aux risques de cyberattaques, et qu’il ne s’agit pas de considérer les CEV comme un cas exceptionnel.

45 En outre, comme le montre l’exemple hollandais City-Zen smart, des défauts de communication numérique (par 4G ou wifi) peuvent engendrer «une fiabilité relativement faible des systèmes CEV, (…) bien inférieure à la fiabilité des infrastructures vitales comme le réseau électrique» [24]. Enfin, compte tenu des tarifications actuelles, l’action des opérateurs des CEV peut parfois aggraver les tensions du REC. Dans le cadre de City-Zen, on a constaté un effet négatif de la CEV sur le réseau, à cause de ventes et livraisons d’énergie lors des moments de pointe de charge. Inversem*nt, les tarifications actuelles peuvent pénaliser les opérateurs des CEV. Comme l’explique M. De Vries, directeur général de la société Ohm Connect en Californie, «après avoir été sollicitée par l’État pour assurer la charge, l’entreprise a perdu 100000 à 200000dollars après avoir payé ses clients. Ohm Connect était heureux d’aider l’État à traverser une crise majeure, mais ne peut pas régulièrement perdre de l’argent en raison du mauvais fonctionnement du marché» (Cohn, 2020). La structure actuelle du marché ne permet pas toujours de récompenser les agrégateurs de l’effacement à la hauteur du service fourni, ce qui pourrait les amener à ne plus assurer ce type de service lors de moments particuliers.

46 La résilience organisationnelle est la capacité d’un groupe d’acteurs à mobiliser des périmètres plus importants techniquement et spatialement et des compétences et moyens d’autres acteurs pour jouir d’une solidarité entre échelles et absorber les effets négatifs d’un aléa (Barroca etalii, 2013).

47 Ainsi, la CEV peut mobiliser ses actifs, notamment lors d’évènements extrêmes (Barton, 2021), afin de soulager le REC et éviter ou réduire le risque de défaillance. Aux États-Unis par exemple, les CEV contribuent à la résilience des REC lors des vagues de chaleur ou de froid, ou en cas de tempêtes. En Californie, lors d’une vague de chaleur, Ohm Connect a engagé ses clients à réduire de près d’un GWh la consommation totale d’énergie, ce qui équivaut à retirer plus de 600000foyers du réseau pendant une heure. Ohm Connect a activé et désactivé les équipements de ses clients 739000fois pour économiser de l’énergie et réduire les contraintes sur le réseau, en versant un million de dollars aux utilisateurs et en aidant à éviter des pannes supplémentaires (Pickerell, 2020): «En gros, [l’opérateur du réseau électrique] allait manquer d’énergie (..). Alors il s’est adressé à Ohm Connect. Dans cette circonstance, nous avions dispatché chacun de nos utilisateurs en Californie (..). Et la consommation a chuté de 20%. Nous l’avons maintenu là pendant deux heures jusqu’à ce que le réseau puisse revenir et être en mesure de produire la quantité d’énergie dont ils avaient besoin pour répondre à la demande» (Fig. 6).

Figure 6

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (6)

48 Quelques cas similaires ont été enregistrés en France. Notre interlocuteur de Energy Pool mentionne par exemple une intervention réalisée en Bretagne lors d’une tempête, ayant privé une partie du réseau de ses moyens de production, et que l’agrégateur a compensé par de l’effacement de consommations.

49 Selon l’agrégateur Voltalis, un autre type de service rendu au réseau par les CEV est de pouvoir l’aider à éviter ou réduire le recours aux délestages tournants à l’échelle de départements, voire de régions. On entend par délestage le recours à des coupures intentionnelles réalisées par les opérateurs du REC sur un maillon du réseau en cas de tensions et fortes congestions afin d’éviter une coupure généralisée.

50 La solidarité inter-échelles peut également être déployée en situation insulaire. La CEV développée sur l’archipel Orkney met en évidence l’intérêt de garder un lien avec le REC écossais pour optimiser les investissem*nts et permettre de profiter d’un maximum d’énergies renouvelables. Ainsi, la CEV permet d’optimiser la production énergétique et réduire la congestion sur le réseau électrique qui dessert les 8 plus grandes îles de l’archipel qui en compte 70 au total. Notre interlocuteur au sein de l’association pour la promotion d’énergie renouvelable Community Energy Scotland considère que la déconnexion de l’archipel n’est pas envisageable actuellement ni dans un futur proche. Au contraire, l’objectif est de profiter de la connexion avec le REC écossais, qui est assuré aujourd’hui au moyen de plusieurs câbles sous-marins, que le gestionnaire de réseaux a prévu de renforcer et doubler prochainement.

51 Ces exemples montrent l’importance des synergies entre CEV et REC. Cependant, nos interlocuteurs, représentants de la société AGL expriment une inquiétude qui a circulé parmi les acteurs des réseaux australiens, à savoir la difficulté de prévoir le comportement de chaque gestionnaire de CEV dans le cas où leur nombre est important sur un seul et même marché de l’énergie. Leur course au signal-prix serait une source de déséquilibre éventuel, car la quête de rentabilité économique n’est pas toujours en phase avec les besoins physiques du réseau. Selon nos interviewés, c’est aux régulateurs des marchés de l’énergie de bien restreindre le cadre d’opération des CEV, pour assurer qu’elles soient bénéfiques au réseau et aux consommateurs, sans causer des dommages collatéraux.

52 Dans cette partie de l’article, nous avons décrit la contribution des CEV à la résilience du REC et nous avons analysé les limites à la performativité de leur apport.

53 En synthèse, pour que les CEV puissent concourir de manière positive à la résilience du REC, le «design» des marchés est particulièrement important. Les conditions de fonctionnement des marchés de services auxiliaires et des marchés de gros de l’électricité évoluent de manière inégale dans les territoires au secteur électrique libéralisé. Le grand nombre et la complexité de ces marchés est à la fois un avantage et une difficulté pour les acteurs qui doivent apprendre à articuler l’impératif de profits économiques avec une contribution plus générale au bon fonctionnement du système électrique, mais aussi une difficulté pour les gestionnaires de réseaux qui doivent s’assurer que le partage de responsabilités avec d’autres acteurs n’engendre pas d’externalités négatives.

54 La contribution des CEV à la résilience du REC semble reposer sur le bon fonctionnement des réseaux de communication, mais c’est aussi une question de densité et de maillage des réseaux en câblage et fibre optique. Ainsi, certains territoires sont déjà mieux dotés en la matière, ou capables de s’équiper rapidement. Nous observons émerger un enjeu d’inégalités territoriales parmi les consommateurs et les producteurs d’énergie.

55 Dans un scénario où la contribution des CEV à la résilience du REC repose sur le stockage électrochimique, la disponibilité de matériaux critiques et la solidité de filières de recyclage sont de véritables enjeux à moyen terme et à long terme. Et à court terme, la mise en place de batteries dans des zones où le réseau est déjà très congestionné est souvent freinée par le dimensionnement de ce réseau, insuffisant pour raccorder des capacités importantes.

56 Notre enquête montre également que les CEV ont leur pertinence à la fois lorsqu’elles agrègent des clients éparpillés sur des territoires importants et concentrés sur des territoires plus petit*. En effet, la résilience organisationnelle est nécessaire notamment dans des configurations où la solidarité entre territoires et acteurs peut changer la donne, mais ce n’est pas forcément une prestation rentable économiquement. Dans quelle mesure les CEV peuvent être un dispositif de gestion du système électrique sans preuve de rentabilité immédiate?

57 Le discours de certains agrégateurs laisse penser que la contribution des CEV à la résilience du REC est une des conséquences indirectes d’un désinvestissem*nt dans le renforcement et la modernisation des réseaux publics. Notre interlocuteur chez Voltalis affirme par exemple que «si on est dans une situation critique aujourd’hui, c’est 25ans de sous-investissem*nts chroniques dans l’évolution de la production d’électricité. (..) Nous on peut faire en sorte qu’il n’y ait pas à faire ces délestages tournants».

58 En miroir, certains gestionnaires de CEV soulignent la capacité des CEV à se configurer comme une véritable alternative aux interventions structurelles sur les REC, en permettant d’éviter des investissem*nts coûteux dans le renforcement du réseau. Selon la start-up anglaise Moixa, la combinaison de systèmes de stockage d’électricité avec des panneaux solaires peut réduire le besoin de dépenses supplémentaires sur le réseau, car des algorithmes logiciels peuvent déterminer le meilleur moment pour charger et décharger les batteries, réduisant ainsi la pression sur le réseau (Sanderson, 2021).

59 Certains acteurs du marché portent cette réflexion à l’extrême. Ainsi, le directeur général de Sunnova [25] a récemment affirmé que les politiques publiques en matière d’énergie aux États-Unis devraient s’appuyer davantage sur la flexibilité des consommateurs plutôt que sur la modernisation du réseau électrique: «Laissez le marché fonctionner, laissez les consommateurs décider ce qu’ils veulent. Le marché trouvera un fonctionnement plus efficace que celui proposé par une approche descendante, de type communiste» (Sanderson, 2021). De nouveaux enjeux d’arbitrage de long terme semblent alors émerger, entre le développement d’offres de flexibilité et la construction de nouvelles lignes électriques dans des zones congestionnées (Finon, 2017).

60 Ces éléments rejoignent le constat que dansla plupart des business models actuels basés sur les services énergétiques et assimilés, la génération des recettes se déplace «en aval» vers la partie commerciale de l’activité. Ainsi, les ressources financières pour les parties «en amont» du système (grandes centrales électriques, réseaux d’infrastructures) se trouvent sous une pression en constante augmentation (Coutard, Rutherford, 2015). L’émergence d’offres de flexibilités, encouragées par les politiques publiques, peut être vue comme une compensation permettant d’éviter ou de reporter dans le temps les coûts d’amélioration infrastructurelle du REC. D’autant plus que dans plusieurs pays européens, comme la France et les Pays-Bas [26], il est interdit aux gestionnaires des réseaux de mettre en place des offres commerciales à l’image des CEV.

61 Une partie des coûts pour améliorer la résilience du REC aux tensions routinières est ainsi reportée sur des acteurs privés autres que les gestionnaires historiques des réseaux. Cela conduit à confier les capacités de résilience du REC à une forme de gouvernance basée sur le marché (Reverdy, 2016). Ce constat rejoint les analyses de plusieurs auteurs: en mettant progressivement en œuvre les cadres réglementaires de l’UE et en adoptant une approche néolibérale, les politiques énergétiques-climatiques reposent de plus en plus sur les capacités supposées du marché à surmonter les blocages actuels et la dépendance aux sources d’énergie fortement carbonées (Grandclément, Nadaï, 2018).

62 Dans des pays où la tension sur le REC est moindre, certains auteurs invitent à ne pas surestimer l’ampleur des moyens mobilisables par le recours à la flexibilité (Finon 2017). Parmi les représentants des gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité, que nous avons interviewés, il existe une confiance inégale vis-à-vis de la possibilité d’éviter certains investissem*nts dans l’infrastructure grâce à la flexibilité offerte par les CEV. Ces différences de positionnement s’expliquent par de multiples facteurs, qui sont propres aux territoires concernés, aux cultures institutionnelles et conditions du système électrique. Le gestionnaire des réseaux de distribution Consolidated Edison, aux États-Unis, décrit la CEV comme «une des solutions sans-fil qui permettront de réduire la demande pour éviter d’avoir besoin de renouveler l’infrastructure, et ainsi reporter ces investissem*nts». Par contraste, le représentant de CAISO, le gestionnaire des réseaux de transport en Californie, exprime une confiance plus modérée, car la complexité technique, juridique et économique des CEV n’apparait pas une évidence pour notre interlocuteur.

63 Globalement, les gestionnaires des réseaux continuent à planifier à long terme des investissem*nts dans les infrastructures et à développer des programmes et des mesures de résilience, comme le nouveau marché de l’effacement de consommation d’urgence que le gestionnaire des réseaux de transport californiens a mis en place à titre expérimental en 2021. Le gestionnaire néerlandais des réseaux de distribution Liander explique qu’il est prévu d’investir massivement sur les infrastructures, qui souffrent d’importantes tensions (Figure7), pour en augmenter la capacité. Mais, s’agissant d’interventions lourdes, coûteuses et dont la mise en œuvre s’inscrit dans la durée, la contribution des CEV s’envisage comme une solution sur le court terme.

Figure 7

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (7)

64 Les CEV apparaissent ainsi comme un dispositif complémentaire, se superposant à d’autres dispositifs physiques et économiques mis en place progressivement par les gestionnaires des réseaux.

65 Si ces systèmes sociotechniques prenaient plus d’ampleur, un déplacement de valeur pourrait se réaliser. Ainsi, les ressources de production décentralisées compteraient de moins en moins au profit, d’une part des réseaux, moyens cruciaux d’intervention pour stabiliser, relier, satisfaire localement les besoins d’un territoire, et d’autre part de la CEV elle-même en tant que système sociotechnique capable non pas de transporter ni de produire de l’énergie, mais de gérer de façon agrégée et optimisée une multitude de points de production ou de consommation; autrement dit, capable de gérer les flux d’électricité.

66 La gestion agrégée d’une multitude de points de consommation électrique interroge le rôle des usagers. Les directives récentes et les politiques publiques des dix dernières années, en Europe, mais aussi dans d’autres pays, placent les consommateurs finaux au centre des marchés électriques [27] et encouragent leur sobriété et responsabilisation. Ces consommateurs finaux y sont décrits comme des acteurs particulièrement rationnels et connectés, capables de gérer et réduire leurs consommations de manière active et autonome grâce à des objets comme les compteurs Linky. Les attentes de résilience du REC sont en partie reportées sur les consommateurs (Bhuiyan etalii, 2021). L’échelle de l’individu est très investie et chargée de responsabilités: les consommateurs deviennent ainsi des «héros» de la résilience (Reghezza-Zitt, 2012; Tierney, 2015).

67 Cependant, plusieurs études ont montré qu’il est très difficile de faire adopter aux consommateurs finaux des attitudes actives, ces derniers ne souhaitant pas ou n’étant pas en capacité de suivre en temps réel leurs propres consommations, ni les modifier suite à des signaux prix. (Farruqi, Segerci, 2009; Danieli, 2018). Il semble moins illusoire d’imaginer que ce rôle puisse être joué par des opérateurs de CEV, auxquels certains consommateurs délèguent la gestion de leurs consommations horaires (Finon, 2017). Dans la plupart des CEV, la gestion des consommations est centralisée et automatisée et les individus reviennent ainsi à un rôle passif qui se limite à fixer avec les gestionnaires des CEV le cadre global des interventions [28].

68 Ces considérations invitent à penser que les CEV, de par leur mode de fonctionnement basé sur l’agrégation, représentent une nouvelle forme de centralisation. Dans le système électrique de demain, l’agrégation pourrait devenir déterminante pour le bon fonctionnement du réseau et les acteurs de l’agrégation auraient un rôle de premier plan, en ouvrant à une nouvelle répartition des compétences avec les opérateurs énergétiques conventionnels ou bien à une reconfiguration du rôle de ces derniers.

69 Cette nouvelle forme de centralisation est porteuse d’implications socio-spatiales et d’un certain nombre de tensions. Premièrement, la gouvernance des CEV semble être organisée par de nouveaux acteurs de façon partiellement déconnectée du territoire. En effet, contrairement à d’autres systèmes techniques alternatifs comme les micro-réseaux, les CEV peuvent se configurer à des échelles variées: locale, régionale, nationale, voire théoriquement internationale [29]. La gestion agrégée des EnR transforme et inverse potentiellement leur sens intrinsèque: de sources locales d’énergie en circuits courts ou en autoconsommation (intégration horizontale), elles deviennent des moyens pour stabiliser le REC actuel (intégration verticale), selon une logique décrite par (Macrorie, Marvin, 2019). Ceci est vrai même dans le cas où l’objectif de la CEV est de fournir un service à l’échelle locale et ses porteurs sont des communautés. Très significatif à cet égard est le témoignage de l’association citoyenne SDP Loenen, impliquée dans le développement d’une CEV locale: «A l’origine, nous avions dit: nous n’allons travailler que sur [les actifs] résidentiels (..). Mais nous avons beaucoup d’agriculteurs dans le village (..) et puis nous avons aussi dit: eh bien, nous avons aussi une industrie à proximité (..). Mais si je change d’échelle, est-ce que je ne perds pas mon identité? (..) Je pense que c’est la phase dans laquelle nous nous trouvons actuellement: savoir si l’on peut trouver le juste milieu pour réaliser des économies d’échelle». Van Summeren etalii (2020) ont montré avec leur étude sur trois CEV développées à l’échelle de communautés qu’au fil du temps les enjeux initiaux de recherche d’un service local d’autoconsommation ont évolué vers la quête de valeurs financières en contrepartie de services d’équilibrage du réseau. Cela a obligé les trois communautés à se conformer aux règles de marché existantes et à opérer à plus grande échelle, en collaboration avec les acteurs historiques du système.

70 Deuxièmement, comme l’illustre notre interlocuteur de la société ENEDIS: «il y a quelque chose d’assez orthogonal entre la volonté des agrégateurs d’agréger et de foisonner les aléas avec le fait que les contraintes locales du réseau, par définition, sont locales. Cela a conduit au fait que pour des contraintes de trop de consommation on a lancé des appels d’offres de services de flexibilité et qu’ils aient été assez largement infructueux». Les CEV qui gèrent des actifs diffus à l’échelle nationale ne peuvent contribuer qu’à mesure de la densité de leurs clients au maillon local et peuvent ne pas être en mesure de répondre à des tensions localisées sur un segment du réseau. Cette situation pourrait évoluer siles agrégateurs arrivent «à concentrer suffisamment de contrats d’effacement dans une zone proche d’un point de congestion (…), ou encore si les opérateurs de réseau sont autorisés à construire des unités de stockage dans ces mêmes zones, ce qui pour l’heure, irait à l’encontre des principes bruxellois» (Finon, 2017, p.28).

71 Il est nécessaire de souligner une nuance importanteentre les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution quant à leur relation avec les CEV et les services qu’elles rendent au réseau. Dans les territoires où ils ont mis en place une forme de services auxiliaires, les GRT sont déjà devenus des coordinateurs d’une responsabilité partagée pour assurer l’équilibre de l’offre et de la demande en électricité. Mais du côté des GRD, c’est beaucoup moins le cas, même si la création de marchés de flexibilité locale est une hypothèse importante, en cours d’être testée dans le cadre de projets exploratoires [30]. Aujourd’hui, le débat sur la contribution de CEV à la résilience du réseau concerne davantage la maille du réseau de transport d’électricité. Ce principe peut apparaître paradoxal, car de très nombreux clients de CEV sont raccordés au réseau de distribution (notamment en secteur résidentiel).

72 En outre, si les CEV offrent des services pour éviter ou réduire le risque de défaillance du REC, elles sont moins utiles lorsque cette défaillance se produit. En effet, contrairement aux micro-réseaux, seules les CEV équipées en batteries et systèmes de production d’énergie peuvent assurer un approvisionnement à l’échelle de chaque client, et non pas d’un quartier. Une autre forme de géographie de l’énergie se dessine par rapport aux micro-réseaux lors de la défaillance du REC, mais elle soulève les mêmes questions en matière de justice spatiale face aux services d’approvisionnement énergétique (Barroca, 2019).

73 Historiquement, les CEV trouvent leurs origines dans le concept «d’opérateur virtuel», défini dans les années 1990 pour décrire une nouvelle forme de fourniture de services énergétiques dans un contexte de libéralisation des marchés de l’électricité aux États-Unis. Cette notion «d’opérateur virtuel» désignait un agrégateur d’actifs énergétiques appartenant à des clients-partenaires souhaitant participer à divers marchés de l’énergie, qui étaient eux-mêmes en pleine évolution (Hyman, Smith, 1997; Awerbuch, Preston, 1997). Ainsi, l’objectif était de contribuer à la transformation des marchés de l’énergie par la définition d’un nouveau type d’acteur, qui serait capable de retrouver de la valeur économique ailleurs que les acteurs conventionnels et qui aurait accompagné le REC dans les transformations à venir en lui fournissant des services. Depuis une dizaine d’années, les CEV se sont développées à travers le monde, notamment sous l’impulsion des politiques de transition énergétique (Yavuz etalii, 2019; Yu, Fang, Yajuan,, 2019), ainsi qu’à la suite des possibilités offertes par le numérique (Percebois, 2021); il est attendu qu’elles se développent davantage (Navigant, 2019; US AID, 2020: pp.34-35).

Figure 8

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (8)

74 En France et globalement en Europe, l’émergence des CEV est à mettre en lien avec le besoin de flexibilité et de gestion de la demande. T. Reverdy, dans son étude sur l’émergence de l’offre d’effacement diffus en France (Reverdy, 2016), portée notamment par le gestionnaire de CEV Voltalis sur la période 2006-2013, a posé la question de l’articulation entre projet politique et expertise technico-économique dans l’adaptation des règles de marché à des offres innovantes emblématiques de la transition énergétique et a montré les tensions entre les différents acteurs. L’auteur souligne: si d’une part, le secteur électrique reste très étroitement et rigidement régulé, d’autre part, il reste fortement investi d’une dimension politique, les autorités politiques n’entendant pas abandonner le contrôle à des autorités indépendantes. De plus, «la stratégie de Voltalis a contribué à politiser le débat. Son action a probablement conduit à faire de l’effacement diffus une des techniques essentielles du mix énergétique» (Reverdy, 2016, p.24). Ainsi, le déploiement de l’effacement est le résultat de l’action publique, des instances de régulation, mais également des principaux acteurs commerciaux exprimant cette offre (Grandclément, Nadaï, 2018).

75 Dans d’autres pays, l’émergence des CEV est plutôt à mettre en lien avec des risques climatiques et l’augmentation exponentielle des sources de production énergétique décentralisée, notamment de type photovoltaïque.

76 En Californie, les CEV présentent un avantage spécifique car elles ont le potentiel d’assurer des services de secours en cas de pannes sur le réseau, causées par des incendies de forêt et des épisodes de chaleur extrême (Jones etalii, 2022). Nos interlocuteurs à la société CAISO et au sein de l’agrégateur Ohm Connect soulignent l’importance des problématiques liées à la désynchronisation de l’offre et de la demande énergétique dans l’espace d’une journée comme un enjeu important pour l’émergence de CEV en Californie. L’expression «duck curve» est couramment utilisée dans le secteur énergétique pour faire allusion à la représentation graphique de ce phénomène de désynchronisation, car la pénétration massive de renouvelables produit un effet de surabondance de l’offre énergétique en mi-journée. Quant au cadrage régulatoire, le domaine d’activité des CEV reste peu défini en Californie, comme ailleurs aux États-Unis, et les gestionnaires de ces systèmes jouissent de diverses opportunités économiques qui apparaissent peu à peu, à l’exemple du marché de gestion des consommations «Demand Response Auction Mechanism» introduit en 2016 en Californie par le gestionnaire des réseaux de transport d’électricité et la Commission californienne des compagnies publiques (CPUC) (Jones etalii, 2022).

77 En Australie, la capacité d’énergie renouvelable augmente dix fois plus vite que la moyenne mondiale par habitant. Dans un certain nombre de régions, comme l’Australie du Sud et le Queensland, au nombre élevé d’installations solaires, la stabilité du REC est particulièrement menacée à certains moments où la faible demande d’électricité coïncide avec une production solaire élevée. En conséquence, des réglementations ont été introduites en 2020 pour permettre d’écrêter la production électrique des panneaux solaires pendant les périodes de pointe du réseau. L’opérateur du marché énergétique australien (AEMO) avait prévu un potentiel de 700MW de capacité pour le développement des CEV avant 2022. Si le résultat n’a pas été atteint, plusieurs CEV de taille très importante [31] ont toutefois récemment vu le jour, encouragées par d’autres politiques venant fortement soutenir le recours aux batteries et leur intégration dans les CEV pour mitiger les effets de déséquilibre causés par les EnR (Jones etalii, 2022). En effet, selon nos interlocuteurs au sein du fournisseur Simply Energy, l’émergence des CEV en Australie est fortement liée au déploiement des batteries. Dans ce pays, le secteur public joue un rôle de premier plan dans le développement des CEV. En effet, l’Agence australienne d’énergie renouvelable (ARENA) finance plusieurs projets voués à étudier les possibilités d’intégration des CEV dans le fonctionnement du REC et anime un programme d’intégration de ressources distribuées (Distributed Energy Integration Program). Ce dernier rassemble un total de treize organismes, y compris des autorités de marché, des régulateurs, des associations professionnelles et des associations de consommateurs, dans le but de soutenir les recherches concernant l’agrégation des EnR, des batteries et d’autres systèmes, tels que les véhicules électriques (AEMO, 2020; entretien avec AGL).

78 Dans cette partie, nous avons analysé les multiples implications que provoque la participation des CEV à la résilience du REC. Avec la contribution des CEV, les moyens par lesquels la résilience du système électrique est assurée évoluent au fil de l’eau, et cette résilience se joue simultanément en temps réel et à long terme. Ces systèmes virtuels semblent avoir autant d’importance dans la gestion des incertitudes propres au réseau que dans la réponse aux incertitudes exogènes: géopolitiques, économiques et liées aux évolutions législatives. La croyance en la capacité de CEV à jouer le rôle du «couteau suisse» du réseau électrique, dans une configuration de marchés partiellement ou totalement libéralisés, externalise et délègue implicitement au secteur privé une partie de l’investissem*nt dans la résilience du réseau. Cela interroge sur le risque futur de sous-investissem*nt dans des moyens infrastructurels, propres aux réseaux de transport et de distribution d’électricité, et nécessaires à toutes les échelles territoriales. La gestion agrégée des EnR amène au transfert de valeur depuis ces dernières vers la gestion des flux énergétiques; elle signifie également une (re)centralisation qui transforme le rôle des EnR de ressources locales à ressources au service du REC. Enfin, le rôle des consommateurs finaux semble (re)relégué en second plan, en contraste avec les tendances à la (sur)responsabilisation des individus.

79 L’émergence et le déploiement des CEV est le résultat de politiques de libéralisation et de transition énergétique, ainsi que des possibilités offertes par le numérique. De nombreux gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité, et bien évidemment les gestionnaires des CEV eux-mêmes, croient en la capacité des CEV à augmenter la résilience du réseau à travers l’offre de plusieurs services. Ces services sont construits autour du principe de l’agrégation et semblent constituer une nouvelle forme de centralisation de la gestion des flux d’énergie, ainsi qu’une externalisation des responsabilités de résilience du REC vers d’autres acteurs que les opérateurs historiques.

80 Mais lorsque les CEV portent la promesse de résilience pour le REC, représentent-elles un nouveau maillon de fragilité?

81 En effet, le fonctionnement des CEV avec le réseau est quelque part ambivalent. D’un côté, les CEV remettent le réseau au centre du système électrique, en refusant toute logique de déconnexion, îlotage et sécession énergétique, comme d’autres types de réseaux semblent le faire [32]. Bien au contraire, les CEV agissent en symbiose et de façon solidaire avec le REC, en lui fournissant les services que nous avons mentionnés. Mais de l’autre côté, les CEV rendent le REC dépendant de leurs services, car sa résilience n’est pas accrue de façon directe comme dans le cas d’un investissem*nt visant à renforcer l’infrastructure. En effet, la présence de CEV contribue à la résilience de façon indirecte, en palliant aux fragilités du réseau avec des prestations contrôlées exclusivement en interne par les opérateurs de la CEV, majoritairement privés.

82 Les CEV reposent largement sur des actifs énergétiques existants et dans une moindre mesure sur de nouveaux investissem*nts réalisés par les clients (batteries, sites de production énergétique), et leurs espoirs d’adaptation comportementale suffisamment massive pour éviter toute déstabilisation du système électrique. Dépendantes elles-mêmes du réseau de communication pour leur fonctionnement [33], les CEV ont des fragilités intrinsèques à leur design, qui les rend vulnérables aux risques d’hackerage et cyber-attaques. En outre, la rentabilité des CEV repose sur des logiques de marchés en constante évolution et dont l’imprévisibilité à court et long terme peut devenir problématique. La structure actuelle du marché semble ne pas pouvoir permettre toujours de récompenser les agrégateurs de l’effacement à la hauteur du service fourni. Une autre inquiétude concerne la difficulté de prévoir le comportement de chaque gestionnaire de CEV dans le cas où leur nombre est important sur un seul et même marché de l’énergie. Leur course au signal-prix, ou encore des pratiques de trucage (gaming), seraient des sources de déséquilibre éventuel, car la quête de rentabilité économique n’est pas toujours en phase avec les besoins physiques du réseau.

83 En d’autres termes, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une réponse à l’instabilité et aux fragilités du REC par des systèmes globalement instables, évolutifs et qui présentent eux-mêmes des fragilités.

Annexe

Tableau 1

Contribution des centrales électriques virtuelles à la résilience du réseau électrique (9)

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